Louise Desrenards on Wed, 28 Feb 2007 14:02:40 +0100 (CET)


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[nettime-fr] Déclaration de Pascale Ferran aux Césars


Déclaration de Pascale Ferran recevant son César pour "L'amant de Lady
Chatterley"

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=43704
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 mardi 27 février 2007 (20h52) :
Violence économique et cinéma français
7 commentaires

Pascale Ferran, cinéaste, a lu ce texte lors de la cérémonie des Césars
2007, samedi soir 25 février à Paris, après que son film adapté du roman de
D.H. Lawrence a été couronné de cinq Césars.

Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédiens, techniciens ou
réalisateurs de cinéma. C¹est l¹alliance de nos forces, de nos talents et de
nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français.

Par ailleurs, nous avons un statut commun : nous sommes intermittents du
spectacle. Certains d¹entre nous sont indemnisés, d¹autres non ; soit parce
qu¹ils n¹ont pas travaillé suffisamment d¹heures, soit, à l¹inverse, parce
que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes
non travaillées.

C¹est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable
parce qu¹il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos
métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de
revenus dans les milieux artistiques.

C¹était alors un système mutualisé. Il produisait une forme très concrète de
solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d¹un
film, et aussi entre les générations.

Depuis des années, le Medef s¹acharne à mettre à mal ce statut, en
s¹attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a présidé à
sa fondation. Aujourd¹hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau
protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système
capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant
des indemnités n¹est plus calculé sur la base de la fonction de son
bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce
salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités.

Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de
résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les
plus riches.

Or, au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication
des films, d¹autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du
système de financement des films qui aboutit d¹un côté à des films de plus
en plus riches et de l¹autre à des films extrêmement pauvres.

Cette fracture est récente dans l¹histoire du cinéma français.

Jusqu¹à il n¹y a pas si longtemps, ce qu¹on appelait les films du milieu -
justement parce qu¹ils n¹étaient ni très riches ni très pauvres - étaient
même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait
de meilleur.

Leurs auteurs - de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain
Resnais - avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils
s¹adressaient et la plus grande ambition pour l¹art cinématographique. Ils
avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions.

Or ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier
lieu les chaînes de télévision, s¹emploie très méthodiquement à faire
disparaître.

En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films
de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en
rendant quasi impossible pour un cinéaste d¹aujourd¹hui le passage d¹une
catégorie à une autre, le système actuel trahit l¹héritage des plus grands
cinéastes français.

Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique,
point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il
défait, maille après maille, le goût des spectateurs ; alors même que,
pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus
curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde.

Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le
goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n¹est pas loin d¹y arriver.

Les deux systèmes de solidarité - entre les films eux-mêmes et entre ceux
qui les font -, ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble le cinéma
français sont au bord de la rupture.

Alors peut-être est-il temps de nous réveiller.

Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le
cinéma, aussi puissant soit-il, n¹y suffira pas.

Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi, pour
refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les conditions de
production et de distribution de films qui, tout en donnant à voir la
complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle.

Nous n¹y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté politique d¹où
qu¹elle vienne. Or, sur de tels sujets, force nous est de constater que
celle-ci est désespérément muette. Mais rassurons- nous. Il reste 55 jours
aux candidats à l¹élection présidentielle pour oser prononcer le mot
"culture".


De : Pascale Ferran
mardi 27 février 2007



 
 
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