aris on Thu, 26 Sep 2002 07:39:09 +0200 (CEST) |
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[nettime-fr] Geert Lovink - Puissance et impuissance |
Puissance et impuissance Par Geert Lovink Pour certains la globalisation signifie : « mobilité accrue des marchandises, des services, du travail, de la technologie et du capital dans l'ensemble du monde. Bien que la globalisation ne constitue pas un mouvement nouveau sa vitesse s'est accrue avec l'arrivée de nouvelles technologies surtout dans le domaine des télécommunications » [1]. Au début des années 90 cette expression universitaire était peu connue. Mais en l'espace de quelques années la globalisation est devenue le terme le plus utilisé pour décrire l'ère qui a suivi la guerre froide. L'expression elle-même décrit la globalisation avant tout comme un processus. Elle ne veut pas être perçue comme un système dogmatique figé ou une idéologie. La globalisation veut que nous admirions son lustre et sa vitesse. Qui ne veut pas être un « acteur global » ? « Tout ce qui est fixe se dissipe dans l'air » comme l'écrivait déjà Karl Marx au 19e siècle pour décrire le caractère dynamique du capitalisme Il est difficile d'aller à contre-courant. C'est un défi que de dégager de leur gangue technocratique rigide les éléments du capitalisme corporatif et de toujours y prendre plaisir. « La fin de l'histoire » de Francis Fukuyama incarne le geste victorieux d'un système incontesté qui ne se connaissait plus d'ennemis : l'économie de marché plus la démocratie représentative. En plus en-dehors des grandes perspectives dramatiques que la globalisation réserve aux bouleversements spectaculaires on a eu recours à cette expression pour décrire un arsenal précis de mesures politiques dites « néolibérales ». La page web deCorpwatch énumère quelques points : Le pouvoir du marché, la diminution des dépenses publiques affectées à des mesures sociales et ainsi la réduction la protection sociale pour les plus pauvres, la dérégulation, la privatisation, la suppression de la solidarité nationale et de l'Etat-providence et leur remplacement par la responsabilité individuelle [2]. Dans le monde entier le néolibéralisme a été imposé par de puissantes institutions financières comme le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement. Quelques uns de ses pires effets se sont fait sentir au Mexique où pendant l'année qui a suivi le traité de libre échange de l' Alena les salaires ont diminué de 40 à 50% alors que le coût de la vie a augmenté de 80%. Plus de 20 000 petites et moyennes entreprises ont été obligées de fermer pendant que plus de 1 000 entreprises publiques ont été privatisées. Pour des consortiums globaux comme Microsoft la globalisation signifie avant tout « la localisation » de leurs produits. La définition de la globalisation par Microsoft est : « d'identifier les réalités locales porteuses ; de développer des applications adaptées à ces réalités et d'écrire des programmes qui fonctionnent tout aussi bien quel que soit le contexte ». Autrement dit : adapter le produit« à un ensemble défini de langues qui se réfèrent à des régions géographiques déterminées » en fonction des besoins du client [3]. A côté de ces définitions rationnelles de la globalisation en tant que programme économique « néolibéral » la notion de globalisation est largement utilisée pour exprimer une crainte extrêmement diffuse d'être assujetti à un pouvoir (étranger). Ainsi les Français craignent pour leur production cinématographique nationale et les Japonais protègent les planteurs de riz en tant qu'industrie vitale. A ce niveau-là il y a convergence entre le courant de droite et le courant de gauche. A l'intérieur des sociétés occidentales prospères la globalisation est sujet de débat au sein des classes moyennes insécurisées par la disparition du consensus social et culturel autour de l'Etat-providence (national) qui avait succédé à la deuxième guerre mondiale. Certains activistes « anti-globalisation » comptent sur l'Etat-nation mais ce n'est pas le cas de la majorité car il très improbable que le pouvoir de l'état national soit restauré dans un avenir prévisible. Un retour au nationalisme, le désastre des siècles passés, serait une régression spectaculaire. Beaucoup d'études universitaires et les articles de journaux qui les ont utilisées ont eu grand mal à rester en phase avec la multiplicité et la complexité des développements globaux qu'a déclenchés le néolibéralisme (corporatif) soutenu par l' Etat. Dans le cadre d'une régulation axée sur le commerce mondial les études sur la globalisation sont allées des mises en garde globales, des modèles de migration, de l'apparition de villes globales (Saskia Sassen), en passant par la propagation du Sida, les conditions de travail et la destruction de l'environnement jusqu'aux études sur l'utilisation de technologies et de réseaux informatiques (Manuel Castells).Pendant que certains faisaient un retour dans l'Histoire des origines du capitalisme global (la théorie des systèmes mondiaux d'Immanuel Wallerstein) d'autres se centraient sur les conditions très concrètes imposées aux travailleurs et à la nature dans l'Inde rurale (Vandana Shiva). D'après certains théoriciens de la globalisation la contestation de la globalisation néolibérale est elle-même une partie de ce processus. Thomas L. Friedman consacre une grande partie de son livre The Lexus and the Olive Tree [4] à la réaction contre le système. Il sait que le capitalisme global ne peut maintenir une légitimité durable car il est trop répressif, trop déshumanisant et trop injuste pour trop de gens. Pour Friedman et d'autres la résistance est une expression compréhensible (mais erronée) des réticences humaines contre « le progrès ». Les libéraux ultraconservateurs avaient jusqu'ici ignoré les incertitudes où était plongée la classe civile « innocente ». Editorialiste au New York Times Friedman prêtait l'oreille aux angoisses et plaintes croissantes face à la rapacité des entrepreneurs et à la baisse des revenus et de la qualité de la vie. On pourrait dire que Friedman est passé d'un discours triomphant -qui présente les mesures prises comme les étapes inévitables d'une logique implacable-à un discours plus tactique, plus prudent qui à l'instar des médias pèse le pour et le contre. L'ancien Friedman qui affirmait qu'« il fallait acheter Taiwan, garder l'Italie et vendre la France » (en 1999) ne présente plus la nécessité historique de « la camisole de force dorée » du FMI et de l'OMC. Par contre les principaux éditorialistes nord-américains ont du mal à vendre la doctrine d'après le 11 septembre de Bush parce qu'elle incarne des valeurs protectionnistes et unilatérales qui ne cadrent pas vraiment avec celles que prône le discours sur la globalisation des années 90. Dans le passé il était facile de critiquer la vieille Europe pour la politique de subventions agricoles de l'Union Européenne. Les décrets protectionnistes de l'administration de Bush Jr. accordent aux agriculteurs et aux aciéries des USA des centaines de milliards de $ de subvention donnent tout simplement le mauvais exemple. Le chapitre du livre de Friedman The Lexus and the Olive Tree sur « le superflu raisonnable montre à quel point les journalistes et commentateurs de l'économie des Etats-Unis ont participé à la création de « la manie du Dotcom » à l'effondrement de Enron , Andersen , Global Crossing , WorldCom et au déclin général du marché boursier des Etats-Unis qui s'ensuivit. « Revolution is US » ? Pour Friedman comme pour beaucoup de commentateurs contemporains les marchés ne pouvaient que prendre de l'extension. Il n'y a pas de crise, pas de récession, il n'y a que des corrections du marché. Les potentialités ne pouvaient pas diminuer, cela ne faisait tout simplement pas partie du schéma de la globalisation. L'enrichissement rapide devait bénéficier à tous. Les réalités de statistiques globales d'après lesquelles les riches devenaient plus riches et les pauvres plus pauvres ne cadraient pas avec la conception du monde des adeptes du néolibéralisme. Le marché a échoué complètement à réduire les inégalités sociales. Il n'y a pas de répartition nouvelle du pouvoir et des revenus , tout au plus création de nouvelles élites corrompues comme en Russie, en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. Au triomphalisme du marché mieux il faut préférer le sombre réalisme de Robert D. Kaplan dans son livre The Coming Anarchy [5]. Par temps de guerre il est mieux de toute façon de s'en tenir à des réalistes sceptiques. La globalisation est une construction trop empreinte de l'idéalisme hégélien. Trop beau pour être vrai. Kaplan refuse totalement l'idée suivant laquelle la période après la Guerre Froide amènera démocratie et prospérité à tous. Il écrit : « Exactement comme après la 1ére et la 2e guerre mondiale notre victoire a ouvert le chemin à notre prochaine lutte pour la survie où le Mal portera d'autres masques ». Kaplan critique la prise en main du monde par des experts quasiment neutres (techniciens, avocats, chercheurs en sciences sociales, etc.). Pour Kaplan le monde est entièrement politique et ne peut pas (et ne sera pas) être dirigé par « une aristocratie d'experts techniques ». On ne peut pas dire cela du livre de Samuel Huntington « Le choc des civilisations ». A cette bible des « communautaristes » modernes (comme par exemple Pim Fortuyn) manque la précision d'une analyse politique rigoureuse. Le conservatisme de Huntington est émoussé Le 11 septembre a préservé le monde « des dangers de la paix » selon la formule de Kaplan bien qu'il ait écrit son essai en 1999. The Coming Anarchy n'a peut-être pas prédit le 11 septembre mais contient nettement plus d'éléments pour comprendre le monde d'après le 11septembre que Friedman, Fukuyama et les autres porte-parole du populisme de marché. Ceux-ci ne peuvent que s'étonner que la logique du rationalisme économique n'ait pas déjà résolu les problèmes du conflit en Palestine, du fondamentalisme islamique et de la protestation anti-corporatiste. Après Seattle et le 11 septembre il ne peut plus y avoir de théories de la globalisation sans une compréhension en profondeur du conflit et du pouvoir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . [1] Voir : http://canadianeconomy.gc.ca/english/economy.globalization.html. [2] Voir :http://www.corpwatch.org/issues/PID.jsp ?articleid=376. [3] Voir :http://www.microsoft.com/globaldev/wrguide/WRG_g11n.asp. [4] Thomas L. Friedman The Lexus and the Olive Tree, New York : Anchor Books, 1999. Ce livre n'est pas paru en Français mais littéralement on peut le traduire par « Le luxe et l'olivier » : « Lexus » n'existe pas en Anglais. « Lexus » est l'anagramme du mot luxury » (le luxe) qui fut inventé par des cadres de Toyota pour nommer un automobile de haut de gamme de cette marque. Il faut remarquer ce clin d'oeil de Friedman qui emprunte cet anagramme à une société on ne peut plus multinationale et néolibérale (NdT). [5] Robert D. Kaplan The Coming Anarchy (pas paru en Français), New York : Vintage Books 1999. Copyright © 2002 Geert Lovink. Traduction Michael Hesselnberg. Contact pour cet article http://wastun.org/tapestry. Texte publié sur : http://infos.samizdat.net < n e t t i m e - f r > Liste francophone de politique, art et culture liés au Net Annonces et filtrage collectif de textes. <> Informations sur la liste : http://nettime.samizdat.net <> Archive complèves de la listes : http://amsterdam.nettime.org <> Votre abonnement : http://listes.samizdat.net/wws/info/nettime-fr <> Contact humain : nettime-fr-owner@samizdat.net